Vingt huit ans au service des chambres de commerce, d’industrie et de services «CCIS» marocaines et à aucun moment je n’ai eu le sentiment que c’est routinier ou sclérosant.
Etre au service d’une CCIS offre sûrement beaucoup d’opportunités sur le plan professionnel. En assurer la Direction permet de tisser de nombreuses relations avec des compétences de différents horizons, de voyager, de côtoyer et de gérer des hommes et des femmes, de travailler et composer avec des élus de différentes sensibilités et de rencontrer et d’écouter les professionnels de différents secteurs.
Le métier de Directeur de la CCIS est une œuvre difficile, mais c’est sûrement une aventure épanouissante et captivante.
Passionné et impressionné par la formule «CCIS», l’idée de me pencher sur la situation des CCIS au Maroc, a toujours, par sa présence éveillé mon intérêt.
En effet, tout prédispose les CCIS à être des espaces uniques et magiques, la formule «CCIS» impressionne à plus d’un titre, elle met en présence plusieurs ingrédients qui, apparemment, se présentent comme étant contradictoires et incompatibles, mais en fait, cette nature contradictoire ou d’incompatibilité constitue à elle seule l’essence même de la CCIS et sa raison d’être, et on a plutôt tendance à dire des composantes d’une CCIS qu’elles sont complémentaires.
- C’est d’abord un Etablissement Public géré par des Personnes Privées démocratiquement élues.
- C’est ensuite une institution qui œuvre pour la défense des intérêts des secteurs économiques privés et elle est tenue de le faire dans le cadre de l’intérêt général.
- C’est également une interface et un corps intermédiaire entre les pouvoirs publics et le secteur privé.
- C’est aussi un interlocuteur qui a la double tâche d’identifier et de faire connaître les doléances du secteur privé mais d’être aussi le catalyseur évitant et désamorçant toute radicalisation des positions.- Enfin, l’un des éléments les plus spectaculaire dans l’organisation «CCIS» c’est ce mariage entre le bloc de «souveraineté et d’expérience» que sont les élus et le bloc de «compétence» que sont les agents de l’appareil administratif, mariage qui, s’il est réussi, ferait la force et la richesse de la CCIS .
Et pourtant, malgré l’intérêt que présente la formule «CCIS», et malgré ses attraits théoriques et le potentiel dont disposent ces établissements, le vécu quotidien, la pratique de la formule et les contacts réguliers avec toutes les composantes des CCIS et leur environnement m’ont permis d’en connaître de prés les problèmes et les difficultés qui bloquent leur développement.
En effet, l’appareil consulaire semble être «grippé», et les Discours Royaux en témoignent. Les chambres professionnelles sont souvent interpellées sur leur inefficacité par Sa Majesté le Roi.
Les produits et les prestations consulaires semblent ne pas répondre aux besoins réels de la clientèle des CCIS. Apparemment les ressortissants et l’environnement des CCIS ne sont pas satisfaits. On est donc tenté de dire que les CCIS souffrent d’un problème d’image.
L’importance du rôle dévolu aux CCIS et la situation actuelle de ces institutions, leur réussite et leur difficultés, ne peuvent me laisser indifférent dans la mesure où j’étais associé ou témoin de la plupart des tentatives et des projets initiés par le Ministère de tutelle ou par la Fédération des CCIS visant à faire décoller ou à «dégripper» l’appareil consulaire.
Les CCIS sont prises ici comme des organisations ou plus exactement comme acteurs ou agents économiques ayant des ressortissants (clientèle) qu’ils cherchent à satisfaire en leur proposant des prestations de services.
On peut alors définir la CCIS comme étant «l’entreprise des entreprises». Et comme toute organisation ou toute entreprise les CCIS sont sans cesse confrontées aux problèmes de performance, d’image et de développement.
Les CCIS, face à la concurrence et à l’émergence de nouvelles structures, s’interroge sur leur devenir, sur les perspectives de leurs activités, leur fonctionnement et sur leur positionnement.
Les CCIS forment un réseau, mais il est nécessaire de préciser que «l’entité» désignée ici «appareil consulaire» demeure en ordre dispersé et ne fonctionne pas encore en réseau et ne constitue pas au Maroc une «marque globale».
A travers le monde, les chambres professionnelles occupent une place de choix dans le dispositif de la gestion et de la promotion des économies locales. Elles puisent leur légitimité dans leur caractère électif et dans leur action quotidienne de proximité au service des entreprises et du développement local.
- Au Maroc, la constitution de 1996 fait des CCIS l’une des composantes de la chambre des conseillers. Elles sont le représentant du secteur privé au parlement, elles ont donc un pouvoir décisionnel.
- Les CCIS, forces de proposition et de réalisation, sont investies d’une responsabilité et de missions d’une grande importance qui leur confèrent une place de choix dans un environnement où l’entreprise est la première créatrice de richesses.
- L’environnement économique, social, technologique et institutionnel, national et international rend les CCIS encore plus indispensables. Et, nous pouvons même nous permettre de dire que si les CCIS n’existaient pas on les aurait créées.
Cependant, et malgré ces sources évidentes de motivations et d’intérêt pour l’étude des CCIS, celles-ci connaissent au Maroc une phase de léthargie et de stagnation, elles sont mal connues par leur environnement et non écoutées par les pouvoirs publics.
Et malgré les tentatives de quelques rares CCIS d’assurer un semblant de présence, et les efforts entrepris par le Ministère de tutelle pour pousser les CCIS à adopter une démarche volontariste, la situation actuelle des CCIS reflète clairement la modestie et la limite des réalisations, l’inefficacité des interventions et la pauvreté de leur concours au développement économique du Maroc.
Les CCIS disposent, en termes de ressources humaines, d’un potentiel non négligeable : 868 membres élus, 800 agents dont la moitié sont des cadres avec des profils multidisciplinaires. Elles constituent également un réseau parfait : 28 chambres bien implantées géographiquement et dotées d’équipements censés faciliter la communication en interne et en externe.
En termes d’attributions, le statut des CCIS marocaines est pratiquement calqué sur le modèle français. Leur statut leur offre la possibilité d’intervenir sur plusieurs domaines d’activités stratégiques et de mener des actions devant répondre aux besoins réels des secteurs économiques, il s’agit surtout de la représentation et de l’intermédiation, de la formation de l’assistance et du conseil, de l’information, de la gestion des équipements et de manière générale de la promotion du développement local. Ce qui, en principe, devrait faire des CCIS une vraie force de proposition et de réalisation.
Et pourtant, les CCIS marocaines font preuve d’une inefficacité
incomparable, elles ne sont pas sollicitées par les pouvoirs publics, leurs produits et prestations ne sont pas demandés par leurs ressortissants.
En termes de satisfaction et de crédibilité, les CCIS souffrent d’un déficit évident et dégagent une image négative.
Le constat est même fait au plus haut sommet de la hiérarchie de l’Etat. En effet, Sa Majesté le Roi Mohamed VI a, à trois reprises, stigmatisé l’inefficacité des CCIS.
D’abord lors de l’inauguration de la première session de la quatrième année législative du parlement en date du 13 Octobre 2000, je cite : «Nous sommes également décidés, en ce qui concerne les chambres professionnelles, d’adopter une nouvelle vision faisant de ces institutions un véritable levier de l’investissement productif , bannissant tout comportement visant à faire d’elles un tremplin électoral ou d’intérêt, et leur donnant un souffle nouveau à même de corriger les dysfonctionnements de leur situation actuelle qui ne pourrait être reconduite ou reproduite », fin de citation de SM Le Roi.
Ensuite à l’occasion de la Lettre Royale adressée au Premier Ministre relative à la déconcentration de l’investissement, où SM le Roi a, une fois encore, insisté sur les causes qui entravent le fonctionnement des chambres professionnelles, je cite : « …il y a lieu de procéder à une étude approfondie sur les causes qui entravent le fonctionnement des Chambres professionnelles, institutions constitutionnelles, dont le rôle de représentation des forces économiques et sociales, ne doit pas occulter la mission d’intermédiation professionnelle et les services d’aide qu’elles doivent à leurs membres », fin de citation de SM Le Roi.
Enfin, dans le Discours Royal à l’occasion de la révolution du Roi et du peuple le 20 Août 2002, où SM le Roi a encore précisé, je cite :
«…Il en est de même des chambres professionnelles qui sont investies d’une mission identique en vertu de la constitution. Elles seront en effet assujetties aux mêmes épreuves pour que l’on mesure leur capacité à remplir le rôle économique qui leur incombe en matière d’incitation à l’investissement et à la création des richesses. Ce rôle, si elles l’assument comme il se doit, fera de ces chambres de véritables banques de projets d’investissement régional et non de simples tremplins électoraux. », fin de citation de SM le Roi.
D’autre part, les pouvoirs publics, les opérateurs économiques, la presse spécialisée s’interrogent régulièrement sur le devenir des CCIS et sur les causes qui les empêchent de s’imposer durablement comme partenaires et opérateurs crédibles et fiables.
Il serait donc intéressant, à la veille des 2èmes Assises des CCIS qui seraient organisées vers le début du 2ème semestre 2008, de se poser des questions sur le devenir de ces institutions, sur leur potentiel, leur image et sur la perception que se fait l’environnement de ces institutions: cet environnement est-il satisfait du rendement et du rôle joué par les CCIS ?. Quelles sont les causes des dysfonctionnements et de l’inefficacité des CCIS ?
Il semble également important de se poser la question de savoir en quoi les CCIS peuvent-elles améliorer leur efficacité et leur image, et comment doivent-elles s’y prendre ?
Pour ce faire :
- Serait-il suffisant d’adopter une approche juridique en procédant à la modification des Statuts et de doter les CCIS de moyens financiers ?
- Ou s’agit-il tout simplement d’un problème de management lié à l’absence de compétentes. En effet, d’une part, la majorité des élus ne sont pas porteurs de programmes, ceux parmi eux que l’on peut mettre en face des gens de la CGEM ou de partenaires étrangers sont rares. D’autre part, les ressources compétentes des CCIS sont de manière générale dévalorisées par le mode de gestion presque familial de certains élus. Les Directeurs des CCIS et leurs collaborateurs semblent être effacés, d’abord en raison d’un manque de dynamisme certain dans beaucoup de cas, et ensuite en raison de l’omniprésence de certains Présidents et d’élus omnipotents. S’il est vrai que pour sauvegarder l’unité de l’institution, les pouvoirs du Président ne sont pas à partager, il n’en demeure pas moins vrai que les pouvoirs inhérents à la qualité de Directeur ne le sont pas non plus. Les pouvoirs en présence devraient être séparés pour assurer un bon fonctionnement de l’institution.
- La situation des CCIS a t-elle été aggravée par la politisation de la formule ?
- ou bien par l’existence d’un tissu économique traditionnel difficile à mettre à niveau ? En effet, pour plusieurs CCIS le tissu économique local est composé essentiellement de petits commerçants assoiffés d’être écoutés et défendus, la nature de leurs attentes fait que leur préférence va vers le développement d’un corporatisme encadré timidement par des syndicats et des associations, ce que les CCIS ne peuvent légalement offrir, et la somme des frustrations et des insatisfactions radicalisent les jugements des ressortissants vis à vis des CCIS et rendent leurs attentes, dans certains cas, incompatibles avec les attributions des institutions consulaires, ce qui met ces dernières en déphasage avec leur environnement.
Reste à dire un mot du préalable nécessaire à la réussite de toute option : la volonté politique. S’il est vrai que les Discours de SM Le Roi attestent d’un intérêt particulier et démontrent clairement l’existence de la volonté de donner effectivement aux CCIS «le rôle de représentation des forces économiques et sociales et la mission d’intermédiation professionnelle et de services d’aide à leurs membres… », il n’en reste pas moins vrai que cinq Ministres, issus des CCIS, se sont succédés au Ministère de tutelle des CCIS sans pour autant que l’on puisse dire qu’ils ont effectivement réussi à mettre en œuvre des politiques à même d’améliorer la situation dans les CCIS.